Qu’il me soit alors permis d’écarter tout de suite un soupçon probable : aux lecteurs qui ont pu lire ce livre et à ceux qui en ont entendu parler mais n’ont pu le mettre sous les yeux, je voudrais dire qu’ils auront tous tort de penser qu’il s’agit d’un simple récit expiatoire dont le but serait de se libérer de je ne sais quelle réminiscence ou ressentiment douloureux et supposément lié au brusque limogeage de l’auteur à la tête de la SNIM, au moment où il s’y attendait le moins ;
encore que de telles décisions ne soient plus vraiment surprenantes chez nous :récurrentes en effet sont ces ‘’mesures individuelles’’ qui se prennent en Conseil des ministres et portant sur les promotions inattendues et «remerciements » inopinés des hauts responsables de l’administration publique.
Ouvrons ici une petite parenthèse : ce modus operandi, qui se déploie comme un éternel ballet hebdomadaire, consacrant la « nomination » de quelques fonctionnaires et marquant la « descente » d’autres pour une raison souvent inexplicable, s’est peu à peu mué en une banale vétille de sorte que la très grande majorité des citoyens n’écoute plus vraiment les communiqués de ce Conseil ; et c’est ainsi qu’un fossé gigantesque a pu s’installer entre le pouvoir et ces derniers.
D’où le constat qui s’impose : le discours enchanteur sur un lendemain meilleur n’emporte plus l’adhésion des populations, il n’inspire plus leur confiance, parce que tous les espoirs qu’ils portaient autrefois sont devenus ductiles et se retrouvent désormais complètement annihilés par l’atrophie politique et parfois morale des dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays. Nous en avons connu quelques exemples, mais le précédent chef d’Etat en est sans conteste la plus emblématique des illustrations.
N’eût été l’ineptocratie de son régime on n’en serait pas aujourd’hui à regretter le rôle de la SONIMEX dans la stabilisation des prix des produits alimentaires de première nécessité, qui agissait ainsi de manière positive sur l’inflation et le pouvoir d’achat des populations ; à se poser des questions suspicieuses sur la vraie raison de la disparition de l’ENER, dont la mission était axée sur l’entretien des infrastructures routières pour assurer la pérennité des investissements publics s’y rapportant ; bref, à s’inquiéter de son legs parsemé de sombres ‘’affaires’’ si amples et variées qu’elles paraissent difficiles à recenser, quand bien même elles résultent d’une grave et méthodique corruption qui pourrait rapidement essaimer et se propager dangereusement si elle n’était pas judiciairement clarifiée et pénalement sanctionnée au plus vite en guise de dissuasion, la crédibilité politique du pouvoir en place ainsi que le destin même du pays sont en très grande parie liés à cet enjeu de transparence démocratique et de bonne gouvernance pour le moins incontournable. C’est une question de conscience morale et de responsabilité publique. Fermons la parenthèse et revenons à notre sujet.
Force intérieure irrésistible
Que les lecteurs sus évoqués se détrompent donc : je connais assez bien l’auteur de cet ouvrage, depuis les années de l’insouciance du lycée qu’il partageait avec un frère, et nous poursuivons jusqu’à ce jour la même relation remplie de considération réciproque et de complicité intellectuelle également. Je lui connais de ce fait des scrupules qui le retiennent forcément contre ce type d’indignation fantasque qui tourne généralement au simple règlement de compte.
Pour dire que Youssouf n’est pas de ce genre et qu’il lui a fallu une force intérieure irrésistible pour le pousser à revenir sur cette courte mais finalement passionnante expérience qu’il livre dans un témoignage qui souffle une trame de mise au point et d’informations utiles à destination d’une actualité riche en déclarations et débats sur la SNIM.
Un témoignage sous forme de contribution structurée à cette réflexion informelle, qui s’appuie sur des sources que l’on peut considérer d’ordre confidentiel ou privé (documents internes, témoignages inédits...) et qui va parfois jusqu’à leur reproduction intégrale pour mettre en lumière la stratégie qu’il avait alors initiée et qui amorça effectivement une très forte dynamique de transformation positive (entendez derrière cette notion de transformation positive les mots performance et qualité) ; une dynamique si forte qu’elle suscita un immense espoir non seulement chez les travailleurs et les partenaires de l’entreprise, mais aussi au sein des populations vivant dans le couloir Nouadhibou/Zoueirat pour lesquelles la SNIM joue un indispensable rôle d’entreprise citoyenne, cela au vu des résultats considérables et très encourageants qui furent réalisés au bout de douze mois seulement...
Il est clairement perceptible dans le récit que cette stratégie reposait sur un projet d’entreprise réfléchi, des objectifs de développement précis, un programme d’actions pertinent, une méthode de communication novatrice et un tableau de bord synoptique mettant en évidence l’évolution des principales composantes de la stratégie.
C’est en cela qu’elle s’inspirait d’une « Vision » d’avenir partagée et mise en œuvre avec des collaborateurs de haute qualité professionnelle, toujours en quête de création des conditions propices au renforcement des acquis, à leur performance et leur adaptation au nouvel environnement de la SNIM.
Ce fut donc une stratégie aux allures d’une véritable culture d’entreprise qui n’est généralement véhiculée que dans un secteur privé moderne ; il s’agit d’un système de management ouvert, c’est-à-dire transparent, participatif et relativement décentralisé dans un but d’efficience.
C’est en application de ce système – se traduisant par une structure organisationnelle adaptive et de nouvelles méthodes – que Youssouf fit appel aux forces et intelligences nécessaires, qui ne manquent pas à la SNIM, pour recentrer et développer les activités tout en renforçant la crédibilité de celle-ci aux yeux de ses partenaires.
On peut dès lors imaginer que cette courte aventure était tout aussi exaltante pour quelqu’un qui s’est longuement forgé dans le secteur public, avant de vivre une autre expérience encore plus longue dans les organisations internationales.
C’est pourquoi l’intérêt et l’utilité de son témoignage constituent également une urgence à dévoiler aux cadres supérieurs des administrations de l’Etat, particulièrement nos dirigeants d’Entreprises nationales et d’Etablissements Publics, parce qu’il s’agit d’un modèle d’ambition réaliste et de forte volonté de transformation positive...
Technocrate polyglotte
En d’autres termes, il ne suffit pas d’être intelligent pour être un bon dirigeant d’entreprise : sans formation technique combinée à une expérience pratique, l’intelligence comme le charisme ne seront rien d’autre qu’une simple manie.
Pour autant, le principal pilote de cette aventure n’est pas le genre d’homme victimaire qui attend des reconnaissances ou qui cherche à se faire valoir de quelque manière que ce soit. Il ne se compte pas parmi cette frange de cadres qui se livrent, en toute occasion, à des digressions sous forme d’auto publicité pour le moins prétentieuse, aux fins d’impressionner ou de passer pour être plus compétents que les autres, même si Youssouf avait pourtant suivi plus loin que d’autres le parcours plus que respectable du vrai technocrate.
Il est en effet diplômé en économie et en gestion, polyglotte avec une large expérience en management des stratégies et programmes de développement, aussi bien au plan national qu’international et à des plus hauts niveaux. Dois-je ajouter que rares sont chez nous ceux qui tiennent la comparaison?
Quoi qu’il en soit, c’est évident qu’il nourrissait l’ambition de documenter un tournant décisif dans la vie de cette grande société industrielle, sans doute la plus importante de la sous-région. D’où le lecteur appréciera sûrement une narration sans fioriture, car elle décrit avec précision et à leur juste valeur les perspectives historiques des initiatives de réformes qu’il engageât alors, elle va le plonger directement dans la galaxie du Groupe SNIM et ses difficultés structurelles de l’époque dont le caractère prégnant est encore aujourd’hui plus préoccupant qu’auparavant.
Aussi nous fait-il découvrir dans son récit qu’il procéda immédiatement, dès sa prise de fonction, à l’esquisse d’un diagnostic qui sera affiné avec l’apport de ses collaborateurs et qui le conduisit à l’identification de ces difficultés parmi lesquelles certaines furent de véritables goulots d’étranglement, en sorte que se forma en lui une vision globale qui lui était désormais très claire dans le court et moyen termes.
C’est ainsi qu’il articula la stratégie ci-avant indiquée aux fins d’accroître la productivité de la SNIM et améliorer la qualité de vie de ses travailleurs, il mit également en place des mesures de mitigation portant sur les risques auxquels était alors exposée l’entreprise et dont la cartographie présente aujourd’hui un potentiel d’aggravation sans doute plus élevé qu’à cette époque.
C’est donc en interne qu’il élabora sa double stratégie de redressement et de développement, au demeurant sans précédent durant toute l’histoire de la SNIM, dans une approche participative, dont la mise en œuvre commença déjà, répétons-le, à porter ses fruits au bout d’une seule année, avec un résultat d’exploitation excédentaire record sinon rarement enregistré auparavant.
Limogeage brusque
Et pourtant, c’est à ce moment précis, au bout de quinze mois, qu’il fut brusquement limogé de sa fonction d’Administrateur directeur général, alors que se dessinaient à l’horizon de la SNIM des lueurs d’espoir nettement perceptibles et rendant subitement optimistes ses travailleurs et ses partenaires, sans que ni lui-même ni ces derniers ne sachent les vraies raisons de cette décision inattendue.
Or dans le monde des entreprises, quand tout va pour le mieux, on ne change rien et encore moins d’équipe : celle-ci se chargera seulement d’évaluer sa stratégie au fur et à mesure et d’ajuster la trajectoire en fonction de la dynamique interne ou externe du moment...
L’ouvrage jette en outre un aperçu sur le rôle déterminant et la qualité supérieure des collaborateurs que Youssouf avait choisis autour de lui, sachant bien que leur compétence faisait largement consensus. Aussi n’a-t-il pas manqué d’ébaucher à petits traits des portraits faisant émerger des figures qui sortent du lot et forcent le respect. C’est un exercice à la fois intellectuellement honnête de sa part et moralement positif pour ses ex-proches collaborateurs.
Mais à présent qu’il fut prématurément « remercié », sans qu’il n’ait pu aller au bout de son programme pourtant déjà validé par les autorités tutélaires, je suis persuadé qu’il ne retient dans ses souvenirs que les épisodes exaltants de cette expérience inachevée, parce qu’il jouit d’une faculté de dépassement que je sais très élevée.
Il n’est pas en effet de ceux qui s’imaginent que leur leadership devrait leur valoir plus de reconnaissances ou de récompenses que celles méritées par le dernier de ses collaborateurs. Et je n’écris pas ces lignes, croyez-le bien cher lecteur, pour lui jeter des fleurs de distinction illégitime, pas plus que je ne mésestime l’honneur que je me procure aujourd’hui et qui porte l’expression propice d’une grande estime à l’égard d’un homme dont la réputation est fortement établie pour tout qui connait son parcours : sur son intégrité et sa chaleur humaine d’abord, sur sa compétence dans son domaine de prédilection ensuite.
Je voudrais surtout me réjouir au grand jour de cette occasion pour tordre ma réserve habituelle et clamer sans ambages toute la considération que je voue à cet homme de grandes valeurs. Ma démarche ici est tout simplement animée d’une vielle affection amicale envers une personne à la fois formidable dans son comportement social et incorrigible dans sa propension naturelle à mettre une touche d’humour en toute circonstance. Elle traduit donc un acte de soutien indéfectible, d’encouragement aussi à l’adresse des autres protagonistes de son récit, notamment ceux qui ne font plus partie du cercle des cadres de la SNIM, à l’instar de Khalifa que je connais aussi et dont la qualité professionnelle est unanimement reconnue.
Cela m’amène à conclure ce propos par un autre constat : voici un groupe industriel et minier d’envergure internationale, considéré comme l’un des plus importants en Afrique, dont le fonctionnement global est conçu et dirigé uniquement par des compétences nationales, depuis la fonction de président du conseil d’administration jusqu’au plus bas niveau de ses catégories de personnel (directeur général, directeurs opérationnels, encadrement technique, ouvriers qualifiés, etc.), sans l’assistance d’aucune expertise étrangère, à moins que ce ne soit dans le cadre d’interventions ou de prestations ponctuelles et limitées dans le temps.
Il s’agit là d’une rare prouesse en comparaison à la plupart des pays africains, du moins ceux de la sous-région ; c’est dès lors une source de fierté nationale qui mérite d’être régulièrement soulignée et longuement saluée.
Par Ahmedou Moustapha Med Salem