La Mauritanie est un pays à vocation minière comme le confirme la carte géologique qui révèle la présence de nombreux indices minéralogiques sur de vastes parties du territoire national. En termes de valorisation et d’exploitation, les plus importants gisements exploités à ce jour concernent :
- le cuivre dont l’exploitation remonte aux années cinquante par la MICUMA et à partir des années soixante dix et deux mille, respectivement par la SOMIMA et la MCM,
- le fer exploité depuis 1963 par la MIFERMA et par la SNIM à partir de 1974 et
- l’or exploté depuis 2010 par Kinross, société à capitaux privés canadiens
L’exploitation du fer mérite une attention particulière dans la mesure où elle a coïncidé avec le début de l’accession du pays à la souveraineté internationale et qu’elle a contribué dans une large mesure à la viabilisation de son économie.
Compte tenu de la place prépondérante de la SNIM dans le domaine de la valorisation de ce minerai, les développements qui suivent s’attachent (A) à rappeler l’importance stratégique de la société,(B) à mettre en relief les atouts dont elle dispose pour assurer sa mission et (C) les défis auxquels elle doit faire face pour pérenniser sa présence et consolider son rôle au service de l’économie nationale.
(A) Importance stratégique de la société
Comme souligné plus haut, l’exploitation en 1963 du minerai de fer de Tazadit dans la région de Zouérate a constitué un événement salvateur pour le pays qui venait d’accéder à l’indépendance dans des conditions politiques, économiques et sociales particulièrement difficiles, conditions dont la description la plus rigoureuse est contenue dans les mémoires de Feu Mokhtar Ould Daddah, premier Président civil, « la Mauritanie contre vents et marées ».
Ce n’est pas le lieu de revenir ici sur ces conditions, il serait cependant utile de rappeler brièvement le contexte économique prévalant au moment de l’accession de pays à la souveraineté internationale.
Ce contexte était caractérisé notamment par l’absence de base économique viable de nature à contribuer à la croissance, à la création d’emplois structurés et à l’identification de matière imposable susceptible de générer des ressources fiscales pouvant participer au financement des structures de l’Etat naissant.
En dehors des ressources halieutiques dont la connaissance et la mise en valeur étaient très limitées, le cheptel, les cultures pluviales et la gomme arabique constituaient les principales ressources constitutives d’une base économique étroite et par nature fragile car tributaire de conditions climatiques marquées par des cycles de sécheresse récurrents.
L’exploitation du fer a constitué une étape marquante dans l’évolution économique du pays. Elle a en effet permis la constitution d’un pôle structurant dont les impacts sur la croissance économique, la création d’emplois, le budget de l’Etat et les exportations ont été considérables.
Les emplois qualifiés estimés en moyenne à 4000- 5000 emplois directs et indirects et les recettes d’exportation ont fait de cette activité- pour une longue période- le premier employeur privé du pays et le principal contributaire à la balance commerciale.
Les recettes fiscales générées ont également permis de renoncer dès 1964 à la subvention budgétaire d’équilibre accordée par la France aux anciennes colonies pour leur permettre de subvenir aux besoins incompressibles de services publics essentiels.
Outre les aspects cités plus haut, La dimension sociale liée au démarrage des activités d’extraction et d’exportation du fer mérite d’être mise en évidence.
On peut affirmer dans ce cadre que le couloir Nouadhibou-Zouérate a été pendant de nombreuses années dépendant de la MIFERMA et de la SNIM pour le transport (à travers la voie ferrée longue de 650 KM), l’alimentation en eau tant pour les personnes que pour le cheptel, la santé et pour l’approvisionnement en denrées essentielles.
Autre illustration de l’importance de la société, celle-ci vient de déclarer un bénéfice de plus de 200 milliards d’ancienne ouguiya – la vraie- au titre de l’année 2020, s’inscrivant en hausse de 100% par rapport à l’exercice précédent. L’Etat, principal actionnaire, (72% du capital social) devrait percevoir une part substantielle de ce résultat, sous forme de dividendes.
La société tire profit de la conjoncture favorable sur le marché international du fer dont le prix a enregistré un record historique (+190$/T), dopé par la demande chinoise (la seule grande économie à avoir réalisé une croissance positive en 2020 + 2,2%) et les difficultés de production que connaissent les grands producteurs, australiens et brésiliens, du fait de la crise sanitaire.
Ces données démontrent clairement l’importance de la SNIM (et avant elle de la MIFERMA) dans la structure économique et sociale du pays et expliquent –témoignage pour l’histoire- les raisons pour lesquelles j’ai émis de sérieuses réserves quant il s’est agi en 2008 d’envisager la cession des actions de l’Etat à un investisseur international privé (ARCELOR-MITTAL). Mr Mohamed Aly Deyahiqui était à l’époque le Directeur Général de la sociétépourrait en témoigner éventuellement.
Ces réserves sont fondées sur la conviction que la société, compte tenu de son rôle structurant au plan économique et de sa dimension sociale privilégiée, ne pouvait pas être gérée en fonction des seules lois du marché, surtout si cette gestion devait relever d’un groupe privé international dont la stratégie globale peut comporter, suivant les impératifs d’optimisation des performances, des restructurations radicales pouvant aller jusqu’à la fermeture temporaire ou définitive de l’entreprise.
Envisagée en toute bonne foi par les autorités politiques pour la mobilisation de ressources afin de financer le programme électoral du Président élu démocratiquement en 2007, que Dieu ait son âme, l’option de vente de la société a du être abandonnée.
Cette décision est d’autant plus opportune que la mobilisation des financements n’a jamais été un problème, le facteur limitant en termes d’exécution des programmes d’investissement public ayant toujours été et demeure la capacité d’absorption nationale.
C’est ce qu’attestent les dernières communications en conseil des ministres présentées par le Ministre chargé de l’économie, Mr Kane Ousmane, dont je tiens à saluer la longue expérience et les qualités morales et professionnelles indéniables.
(B) Atouts de la société
Les principaux atouts dont dispose la société sont le savoir-faire acquis au cours de plusieurs décennies, l’autonomie de gestion dont elle a pu jouir dans l’exercice de sa mission, le soutien actif et constant de l’Etat et le climat social relativement apaisé.
S’agissant du savoir-faire, il est reconnu que la SNIM dispose aujourd’hui d’une expérience avérée dans le domaine de l’exploitation et de la commercialisation du fer.
Cette expérience est le fruit sur le plan technique du dévouement d’un personnel compétent qui a pu maitriser les conditions d’extraction et de transport du minerai dans un environnement physique particulièrement difficile marqué des températures extrêmes mettant à rude épreuve les hommes et le matériel et par les risques d’ensablement permanent, notamment de la voie ferrée longue de 650 KM utilisée pour le transport du minerai de Zouérate à Nouadhibou.
Concernant la gestion, la société a pu profiter depuis sa création d’une réelle autonomie la mettant à l’abri de toutes pressions pouvant contrarier l’élaboration et la mise en œuvre de ses stratégies.
Même si une telle option a pu être écornée à certaines occasions, elle est demeurée la caractéristique principale de la relation avec le pouvoir exécutif. Cette orientation a été d’ailleurs consacrée par le législateur en excluant la SNIM et la BCM du champ de d’application de l’ordonnance 9009 du 04/04/90 régissant les relations de l’Etat avec les Etablissements Publics et les sociétés à capitaux publics.
Pour ce qui est de l’appui de l’Etat, celui-ci a toujours été constant à travers :
- la mise en place de régime fiscal incitatif et stabilisé prenant en compte les besoins et les spécificités de l’activité minière ;
- L’appui à la mobilisation des financements et l’octroi, le cas échéant, de la garantie publique ;
- L’adaptation du soutien aux conjonctures défavorables affectant l’évolution de la société, comme ce fut le cas lors de la période 1987-1991 où le prix du minerai est tombé en dessous de 20$/T, mettant la société dans une situation financière tendue marquée par une crise de liquidité et l’accumulation d’arriérés de paiement.
L’appui de l’Etat a été déterminant pour la réussite du plan de redressement mis en œuvre à l’époque et pour la sauvegarde de la crédibilité de l’entreprise et la confiance de ses partenaires.
S’agissant enfin du climat social au sein de la société,on peut estimer qu’en dehors des douloureux événements de 1968 à Zouérate, celui-ci a été globalement calme, donnant ainsi au management la sérénité nécessaire pour traiter les problèmes de fonds liés à la production , au financement des infrastructures de soutien et à la commercialisation.
(C)Défis
Les principaux défis auxquels la société doit trouver des réponses appropriées au cours des prochaines années concernent essentiellement :
- La rigidité structurelle de la production qui n’arrive pas à dépasser les 12 millions de tonnes/an, sauf à des rares occasions ;
- La place marginale de la société en termes de parts de marché (moins de 1%) et la concurrence des grands producteurs australiens et brésiliens (70% de l’offre mondiale du minerai) ;
- L’amélioration de la compétitivité à travers la réduction substantielle du prix de revient qui serait trois fois supérieur à celui des concurrents ;
- L’épuisement du minerai riche et la nécessité de maitriser les techniques d’enrichissement des minerais pauvres dont les réserves sont immenses dans la région du Tiris Zemmour et même au-delà.
L’avenir de l’exploitation du fer au niveau national est tributaire de cette maitrise et de l’amélioration technique des performances des projets guelbs mis en œuvre depuis 1984 pour circonscrire les difficultés liées à l’enrichissement à sec du minerai.
- Nécessité d’évoluer dans la chaine de valorisation du produit ; le temps est en effet venu, après près de 60 ans d’extraction et d’exportation du minerai sous forme brute, de s’acheminer vers la mise en place de projets industriels axés sur la transformation du produit (aciérie, pelletisation).
Cette orientation est aujourd’hui possible dans la mesure où les deux contraintes qui s’opposaient à sa matérialisation (financement et énergie) sont désormais largement atténuées avec , dune part la disponibilité de nombreux schémas de financement, publics et privés à la recherche de projets porteurs et d’autre part le développement de l’offre énergétique au niveau du pays ( ligne haute tension NKTT- Zouérate, mix énergétique intégrant le gaz naturel et les énergies renouvelables)..
La conjoncture favorable sur le marché et l’amélioration de la position financière de la société doivent se traduire par des allocations de ressources humaines et financières adéquates et s’inscrivant dans la durée pour préparer l’avenir et conserver la place du pays au sein du club des pays producteurs de fer.
Il faut espérer que cette amélioration ne soit pas utilisée pour le financement d’investissements improductifs sans lien avec le cœur du métier (core business) et les besoins de l’entreprise.
Nouakchott le 10 Mai 2021
MOHAMED OULD NANY, Ancien Ministre